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Les femmes à la conquête de l'espace

par Jade Clervoy, rédactrice pour Feminists in the City

· Portraits de femmes

A l'occasion de notre Masterclass sur les femmes astronautes, qui a eu lieu le 15 octobre, nous nous sommes penchées sur l’évolution de la place des femmes dans le milieu spatial. Nous vous présentons quelques anecdotes dans cet article ainsi que les portraits de trois femmes ayant marqué l’histoire !

À ce jour, 65 femmes sont allées dans l’espace. Ce chiffre représente seulement 10% du corps des astronautes – les femmes sont à nouveau sous-représentées dans un milieu scientifique. Jean-Yves Le Gall, président du Centre National d’Études Spatiales (CNES), explique : « Si historiquement, le métier d’astronaute a toujours été majoritairement masculin, cela s’explique notamment par le fait que la préparation pour être astronaute présuppose de quitter son domicile très longtemps et il est parfois compliqué pour une jeune femme de faire ce choix lorsqu’elle souhaite avoir des enfants ou une vie de famille. »1

La domination masculine dans le domaine spatial est ancrée depuis ses débuts. La première femme à être allée dans l’espace est Valentina Tereshkova. C'était en 1963, et il a fallu attendre 19 ans pour qu’une deuxième femme, Svetlana Savitskaya, y retourne. Elle raconte qu’à son arrivée dans la station spatiale Salyut 7, le commandant l’a accueillie avec un tablier de cuisine en lui disant de se « mettre au travail »2 - malgré le ton humoristique derrière cette anecdote, cela démontre la mentalité de l’époque.

D’autre part, ce n’est qu’en 1978 que la NASA accepte les femmes dans les entraînements d’astronautes : aux États-Unis, les astronautes devaient être pilotes d’essais militaires, une profession interdite aux femmes à l’époque. Kenneth Bowersox, un administrateur de la NASA, avait également déploré la taille trop petite des femmes, les rendant « moins aptes à atteindre certaines choses ».3

Cependant, cette tendance semble évoluer depuis une dizaine d’années. La NASA met l’accent sur sa volonté d’inclure davantage les femmes dans ses missions. En effet, la promotion d’astronautes recrutée par la NASA en 2013 était paritaire (4 femmes et 4 hommes). Celle de 2017 était déjà en bon chemin vers la parité, avec 5 femmes et 7 hommes. Nous avons également assisté à la première sortie extravéhiculaire exclusivement féminine en octobre 2019, réalisée par Christina Koch et Jessica Meir – un événement symbolisant la confiance et le respect de l’agence envers ses astronautes femmes. L’administrateur de la NASA, Jim Bridenstine, déclare : « J'ai une fille de 11 ans, je veux qu'elle ait les mêmes opportunités que moi lorsque j'étais jeune. »4

Par ailleurs, le Bureau des Affaires Spatiales des Nations Unies (UNOOSA) a créé en février 2020 le projet Space4Women, qui a pour objectif de s’assurer que « les opportunités de l’espace atteignent les femmes et les filles, et que celles-ci jouent un rôle actif et égal dans les sciences, technologies, innovations et explorations spatiales. »

Ainsi, nous avançons vers une exploration spatiale de plus en plus féminine, menée par des femmes brillantes et inspirantes. C'est pourquoi nous souhaitons partager avec vous quelques portraits de femmes ayant marqué l’histoire de la conquête spatiale, que nous avons redécouvertes pendant la préparation de notre Masterclass en ligne.

Valentina Tereshkova, première femme dans l’espace

Valentina Tereshkova est née en 1937 de parents fermiers dans un village au nord de Moscou. Elle quitte l’école à l’âge de 16 ans pour travailler dans une usine textile, tout en poursuivant ses études par correspondance. Elle rejoint le Yaroslavl Air Sports Club et se passionne pour les sauts en parachute. Lorsque Youri Gagarine devient le premier homme à aller dans l’espace en 1961, Valentina Tereshkova candidate au programme spatial soviétique. Malgré son manque d’expérience en tant que pilote, elle est retenue grâce aux 126 sauts en parachute à son actif. Si les candidatures de femmes sont considérées à cette époque, c’est parce que les Soviétiques voulaient à tout prix être les premiers à envoyer une femme dans l’espace, pour à nouveau devancer les États-Unis. Valentina Tereshkova retient aussi l’attention du jury grâce à son appartenance au parti communiste et à son origine prolétarienne.

Aux côtés de quatre autres femmes, Valentina Tereshkova suit un entraînement intensif pendant 18 mois, comprenant divers tests pour déterminer sa tolérance à la solitude, aux conditions de microgravité, etc. Face au scepticisme de leurs collègues masculins, elles forment un groupe soudé. Sur les cinq femmes, elle est la seule à être retenue pour aller dans l’espace. Son instructeur la surnommait « Gagarine en jupon »5. Elle décolle le 16 juin 1963 et passe près de 3 jours en orbite dans la capsule spatiale Vostok 6. Elle est à ce jour l’unique femme à avoir voyagé seule dans l’espace.

Son retour sur Terre est triomphal auprès du grand public, mais en interne les critiques se multiplient au sujet de sa moindre performance : trop de fatigue, tâches non accomplies, vomissements… qui sont simplement consécutifs au mal de l’espace qui touche plus d’un astronaute sur deux. Valentina Tereshkova subit les remarques misogynes de ses responsables. Elle reçoit néanmoins plusieurs titres et prix honorifiques tels que "Plus grande femme du siècle", "Héroïne de l’Union Soviétique" et l’Ordre du Mérite pour la Patrie. Elle consacre la fin de sa carrière à la politique et devient un réel symbole de l’égalité femmes-hommes.

Claudie Haigneré, première femme française dans l’espace

Claudie Haigneré est née au Creusot en 1957. Elle obtient son bac à 15 ans puis se lance dans des études de médecine et de rhumatologie, se spécialisant plus tard dans la médecine aéronautique et spatiale. On la surnomme « Bac +19 » en référence à la longue durée de ses études. Depuis la mission Apollo 11, elle rêve d’aller dans l’espace et se présente ainsi aux sélections du Centre National des Études Spatiales (CNES) en 1985. Elle est retenue aux côtés de six hommes, sur plus d’un millier de postulants.

Claudie Haigneré commence par conduire des recherches sur les effets du voyage spatial sur la physiologie humaine. En 1996, elle effectue son premier vol dans l’espace pour la mission franco-russe Cassiopée afin de mener des expériences médico-physiologiques en orbite. Elle est la première femme européenne à aller dans l’espace.

Claudie Haigneré repart pour une deuxième mission spatiale de 10 jours en 2001 pendant laquelle elle déploie un programme expérimental sur les sciences de la vie et de la matière. Elle est la première femme à voyager à bord de la Station Spatiale Internationale (ISS). L’année suivante, elle se lance dans la politique et devient Ministre de la Recherche et des Nouvelles Technologies puis Ministre déléguée aux Affaires européennes.

Claudie Haigneré reçoit le titre de Grand officier de l’ordre national de la Légion d’honneur, parmi d’autres distinctions, et de nombreux lieux portent son nom. Le fait d’être une femme ne l’a jamais freinée dans sa carrière, au contraire, elle dit avoir « vécu sa différence comme un atout » et milite aujourd’hui pour ouvrir les carrières scientifiques aux femmes. Elle déplore, en effet, le faible pourcentage de femmes se présentant aux sélections d’astronautes6. Ce chiffre d’environ 10% n’a pas évolué entre les sélections de 1985 et 2009 (la dernière sélection européenne), beaucoup de femmes ne se sentant pas légitimes à aspirer à une telle carrière - une bonne illustration du syndrome de l'imposteur, qui touche beaucoup de femmes, souvent par manque de rôles-modèles.

"Les femmes astronautes sont aussi compétentes, résistantes et performantes que les hommes"

- Claudie Haigneré dans une interview dans Le Point Sciences, où elle partage son expérience en tant que femme astronaute.

Eileen Collins, première femme pilote et commandante de la navette spatiale

Dès son plus jeune âge, Eileen Collins rêve d’être astronaute mais à l’époque il n’y avait que des hommes. C’est lorsqu’elle arrive au collège et lycée, dans les années 1970, que de nouvelles opportunités commencent à s’ouvrir aux femmes dans le milieu aérien et spatial. Selon elle, son « timing était parfait ». Eileen Collins rejoint alors la Force aérienne des États-Unis et dès son premier mois d’entraînement, elle reçoit la visite de la toute dernière promotion d’astronautes recrutée. C’était la première promotion à inclure des femmes. Suite à cette rencontre, elle met tout en œuvre pour intégrer, elle aussi, le corps des astronautes : « Je voulais voler à bord de la navette spatiale »7.

Eileen Collins est sélectionnée astronaute en 1990 et effectue sa première mission spatiale en 1995, première femme à piloter la navette. Elle renouvelle l’expérience toujours en tant que pilote deux années plus tard. C’est en 1999, pour son troisième vol, qu’elle se voit confier le poste de commandante de la navette. C’est un vrai pas en avant pour les femmes dans le milieu spatial, d’autant qu’en 2005 on lui confie de nouveau le commandement pour sa quatrième mission à très haute visibilité ; il s’agissait du premier retour en vol de la navette après l’accident de Columbia. Au total, elle a passé plus de 38 jours dans l’espace. Eileen Collins est très respectée de ses collègues du milieu et reconnue pour sa maîtrise de manœuvres très complexes.

Bien que ce soit un honneur pour elle d’avoir été la première femme à commander la navette spatiale, Eileen Collins espère en voir de plus en plus. Tout comme Valentina Tereshkova et Claudie Haigneré, elle encourage les jeunes femmes à devenir pilote pour, un jour, prendre les commandes d’une mission spatiale. Elle quitte la NASA en 2006 pour consacrer plus de temps à sa vie privée mais reste impliquée dans le milieu comme membre expert du conseil spatial américain.

 

Ces femmes exceptionnelles, au même titre que toutes les autres femmes astronautes, ont su braver les préjugés et prouver qu’elles ont un rôle à jouer dans l’exploration spatiale. Aucune femme n’a encore marché sur la Lune, mais cela ne saurait tarder. La NASA prépare un retour sur la Lune en 2024, presque 52 ans après le dernier alunissage. L’équipage sera composé d’une femme et d’un homme. Cet événement, en plus de marquer un nouveau tournant dans l’histoire spatiale, devrait inciter les jeunes femmes à se projeter davantage dans le métier d’astronaute - tant au niveau intellectuel que physique et psychologique, réduisant, on l’espère, leur autocensure dans ce type de carrière.

Notre Masterclass sur les femmes astronautes a eu lieu le mardi 15 octobre de 20h30 à 21h30 et a été animée par Claudine Monteil, Marraine 2020 de Feminists in the City, diplomate honoraire, historienne, autrice et ancienne proche de Simone de Beauvoir.

Pour aller plus loin :

1. TELLIER, Maxime (18/10/2019) « Les femmes dans l’espace : une conquête inégale », France Culture

2. BURNS, John F. (29/08/1982) “An apron for soviet woman in space”, The New York Times

3. GORMAN, Alice (15/06/2020) “Almost 90% of astronauts have been men. But the future of space may be female”, The Conversation

4. Le Figaro (18/10/2019) « Deux femmes sortent ensemble dans l’espace, une première », Le Figaro

5. KOREN, Marina (26/07/2019) “The Soviet Space Program was not woke”, The Atlantic

6. DUCOUSSO, Pauline (20/07/2019) Interview avec Claudie Haigneré, Le Point

7. NASAexplores (10/04/2003) “Eileen Collins – NASA’s first female shuttle commander to lead next shuttle mission”, NASA