En se promenant dans les rues de Paris, vous croiserez bien des hommages aux figures importantes de l'histoire de la ville comme de la France. Cependant, les personnalités célébrées au coin des rues parisiennes sont en grande majorité des hommes. Le cas est commun: en France, tout juste 2% des rues sont nommées d'après des femmes[1]. En tête du classement? Jeanne d'Arc. Pas mal, mais peut mieux faire!
On se repliera donc sur la place Colette, la rue Marie Stuart ou encore la passerelle Simone de Beauvoir, situées respectivement dans les 1er, 2e et 12e arrondissements pour voir apparaître des femmes. Si vous voulez voir des noms féminins dans la ville, il faut passez sous terre, le métro parisien en recèle quelques uns: Louise Michel et Simone Veil sur la ligne 3, Marie-Madeleine de Rochechouart sur la ligne 4, Marie Curie sur la ligne 7...
On l'aura compris, le matrimoine français est bien peu visible au coin de nos rues. L'initiative du collectif Nous Toutes, qui a rebaptisé les rues parisiennes aux noms de femmes illustres lors du 8 mars dernier, en est d'autant plus louable: elle aura inscrit, par exemple, Kimberle Crenshaw ou Malala Yousafzai mais aussi des noms de femmes victimes de violences au sein de l’espace public[2].
La question essentielle : où sont les femmes ?
Abordons tout d'abord cette question sous l'angle du matrimoine, cette mémoire collective aujourd'hui présente de façon diffuse, quasi-invisible dans la ville. Cela alors même que se souvenir des femmes ayant fait le monde c'est savoir, honorer mais aussi s'inspirer et se revendiquer d'un héritage multiple et essentiel.
D'autre part, la présence de modèles inspirant·e·s dans l'espace public joue un rôle important dans la déconstruction des représentations genrées classiques, par exemple dans le monde du travail: habiter au coin d'une rue au nom d'une astronaute ou d'une ingénieure, c'est aussi avoir un petit coup de pouce pour s'imposer dans des milieux encore très majoritairement masculins. En l'absence de visibilité de ce matrimoine, que reste-t-il de la représentation des femmes dans la ville?
En terme de présence dans l'espace public, les femmes sont aujourd'hui majoritairement rendues visibles via le prisme de la publicité. Si les publicités ont progressé en termes de représentations genrées inclusives, elles véhiculent encore souvent des représentations objectifiantes ramenant les femmes non pas à leurs êtres et à leurs actes, mais à leurs corps.
Comme nous le rappelle Angela King dans The Prisoner of Gender: Foucault and the Disciplining of the Female Body[3],
“transformer une femme en une surface ornementée nécessite un immense effort de discipline qui peut causer un sentiment internalisé d'inconfort et d'inéquation. Ce phénomène cimente le statut de la femme en tant que corps et confirme son rôle purement décoratif.”
Exister en tant que femme dans l'espace public en ville, c'est donc se confronter, voire intérioriser le regard des autres, souvent de façon astreignante: ce que Shilpa Padkhe, Sameera Khan et Shilpa Ranade nomment un acte d'“auto-surveillance[4]”. Là encore, la représentation de femmes inspirantes permettant de déconstruire les stéréotypes genrés est importante.
Une représentation encore gravement manquante
Faisons ici un petit tour des lieux publics ouverts à tout·e·s dans la capitale, pour essayer de s'inspirer des rares femmes qui sont présentes dans l'espace public. Commençons par les lieux que nous qualifierons de "statiques", dans le sens où ils invitent à une activité stationnaire; par exemple, les parcs et bancs publics.
Rester immobile dans un parc, s'asseoir à un banc, c'est bien souvent s'exposer à une forme de vulnérabilité, puisque cela peut impliquer de se rendre disponible, que l'on le veuille ou non.
Des études ont prouvé que les femmes sont de manière générale moins statiques dans l'espace public que les hommes: il suffit pour le vérifier d'observer le ratio d'occupation des bancs publics sur votre trajet quotidien.
Considérons ensuite les lieux liés à une activité dédiée, ici parmi d'autres les espaces sportifs en libre accès, les musées, bars et salles de concert ainsi que les transports en commun.
Commençons par les espaces sportifs en libre accès: comme l'ont montré les études d'Yves Raibaud et d'Edith Maruejouls[5], ces espaces sont à 75% utilisés par des hommes, cela étant lié à au retrait des filles du terrain de sport à la puberté.
Quant aux musées, ils rassemblent en grande majorité des oeuvres d'artistes masculins, soulignant le manque de visibilité des créatrices dans le monde de l'art et de la culture.
Enfin, les espaces récréatifs, des bars aux boîtes de nuit, souffrent du même trait que les transports en commun parisiens, dont une étude de 2016 relevait que 100% de ses usagères avaient été victimes d'une forme d'agression genrée: ce sont des lieux marqués par l'insécurité.
Ce bref état des lieux souligne le fait que la ville est aujourd'hui faite par défaut en grande majorité pour un public masculin.
Comment rendre la ville plus inclusive envers les femmes, comment faire de tous les espaces évoqués des lieux de visibilité mais aussi d'identification et de créativité féminine?
Ce blog aura principalement porté sur les espaces publics: un premier angle d'approche du changement passe donc par l'adaptation des politiques publiques d'urbanisme et d'aménagement urbain à l'urgence du genre ainsi qu'une sensibilisation efficace à cette question des agents les mettant en place.
D'autre part, il s'agit de saluer, soutenir et diffuser les initiatives locales envers une meilleure prise en compte des femmes dans la ville.
Enfin se réapproprier la ville reste avant tout un processus profondément personnel dont vous êtes l'acteur·rice et la.le témoin.
Allez célébrer les lieux et les oeuvres de femmes, puisque voir c'est savoir, de la maison d'Olympe de Gouges à une statue de Niki de Saint-Phalle à une oeuvre de Miss.Tic, la liste est longue et il n'appartient qu'à vous de la découvrir et la diffuser. Vous pouvez aussi venir nous dire bonjour lors de l'une des visites Feminists in the City dédiées au féminisme à Paris, Lyon, Marseille, Toulouse et Bordeaux.
Et n'oubliez pas; le matrimoine est un héritage vivant où puiser des forces et des revendications et la ville vous appartient!
Sources :
[1]Source: Rapport Soroptimist, consultable ici: https://union.soroptimist.fr/uploads/union/mcfile/Doc_2014/NOMS_de_RUES_vd-1.pdf :
[2]Source: https://www.nouvelobs.com/societe/droits-des-femmes/20190308.OBS1413/a-paris-nous-toutes-rebaptise-1-400-rues-avec-des-noms-de-femmes.amp
[3] Angela King, The Prisoner of Gender: Foucault and the Disciplining of the Female Body. Journal of International Women's Studies, 5(2), 29-39, 2004 – Disponible ici: http://vc.bridgew.edu/jiws/vol5/iss2/4
[4] Shilpa Padkhe, Sameera Khan and Shilpa Ranade, Why Loiter, 2011
[5] Yves Raibaud, La ville faite par et pour les hommes, Belin, 2015 & Edith Maruejouls, Mixité, parité, genre et lutte contre les discriminations dans les politiques publiques: le cas des espaces et des équipements publics destinés aux loisirs des jeunes, Université Toulouse II – Le Mirail