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Des visites de Paris qui mettent les femmes à l'honneur

Par Cécile Fara, co-fondatrice de Feminists in the City

· Recommandations féministes

"Il y a plus inconnu que le soldat inconnu - sa femme"

Le 26 août 1970, des militantes du Mouvement de Libération des Femmes (MLF) déposèrent des fleurs sur la tombe du soldat inconnu, en hommage à son épouse. Leur objectif était de sensibiliser à la condition des femmes, et à la manière dont celles-ci ont été invisibilisées à travers l'histoire.

De même, nous avons créé Feminists in the City avec une idée précise en tête : offrir une vision féministe de l'histoire, en mettant en avant les femmes oubliées par celle-ci. A Paris, seulement 12% des rues portent un nom de femme. Toutefois, lorsqu'on s'intéresse aux autres éléments de l'espace urbain, ceux qui rendent hommage aux hommes, on peut découvrir des histoires passionnantes, marquées par les femmes.

Lors de notre visite "La chasse aux sorcières", nous nous arrêtons devant le 74 rue du Cardinal Lemoine, immeuble aux volets d'un bleu éclatant, qui porte l'inscription suivante : "De janvier 1922 à août 1923 a vécu, au troisième étage de cet immeuble, avec Hadley, son épouse, l'écrivain américain Ernest Hemingway". Ici, nous ne mentionnons que très brièvement l'histoire d'Hemingway, afin de nous concentrer sur certaines femmes qui ont marqué sa vie, qui ont eu des vies et des carrières trépidantes, mais qui ont tout de même été partiellement ou totalement oubliées.

L'une d'entre elles est Gertrude Stein. Connue comme collectionneuse et mécène, et pour avoir aidé Hemingway et Picasso à se consacrer à leur art, elle était également écrivaine et a publié une histoire de quatre pages, intitulée Miss Furr & Miss Skeene, en 1922. Dans ce texte, le mot "gay" apparait 136 fois à travers d’innombrables jeux de mots. C’était une des premières fois que ce mot était utilisé pour qualifier des relations et des personnes homosexuelles, ce qui a pu créer une certaine confusion, car certain.es lecteurs.rices de l'époque n’avaient pas compris le double-sens du texte. Elle même n'a jamais caché son homosexualité, vivant une grande partie de sa vie aux côtés d'Alice B. Toklas, écrivaine d'un livre de cuisine à grand succès !

Nous discutons ensuite d'une autre femme fascinante, Janet Flanner, que nous pouvons considérer comme la meilleure amie d'Hemingway. Journaliste américaine, elle fut l'une des premières correspondantes au New Yorker, revue pour laquelle elle écrivit une « lettre de Paris » dès 1925, année de son lancement. Son style littéraire avait été remarqué par Jane Grant, la co-fondatrice de la revue, avec qui elle entretenait une relation épistolaire. Elles s'étaient rencontrées à travers leur militantisme féministe, au sein de la Lucy Stone League, le premier groupe féministe qui luttait pour le droit des femmes à conserver leur nom de jeune fille après leur mariage et à pouvoir l'utiliser légalement.

"Une femme ne doit pas plus prendre le nom de son mari que le sien. Mon nom est mon identité et ne doit pas être perdu."​ - Lucy Stone League (fondée en 1921)

Janet Flanner a ainsi passé cinq décennies à raconter aux lecteurs.rices du New Yorker les dernières nouveautés de la capitale française. Arrivée à Paris en 1922, elle a connu la ville à son firmament, alors qu’elle regorgeait de créativité et d’artistes. Cependant, elle était consciente que les femmes et leurs talents étaient occultés et elle leur rendit hommage et les mit en lumière grâce à sa plume.

Si Gertrude Stein a aujourd'hui sa propre place, dans le 12ème arrondissement de Paris, et qu'une plaque commémorative orne l'immeuble du 27 rue Fleurus, où elle tenait son fameux salon littéraire et artistique, ce n'est pas le cas de Janet Flanner, et de nombreuses autres femmes illustres, qui ont pourtant joué un rôle crucial pour leur époque et pour la société française. Ainsi, à travers nos visites et notre interprétation des éléments de l'espace urbain, nous redonnons aux femmes la place qu'elles auraient dû avoir dans l'histoire.