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Qu'est-ce que le masculinisme ?

L'anti-féminisme en action.

· Débats

Depuis quelques années, on entend de plus en plus parler des masculinistes. En France, on a même eu un candidat masculiniste à la présidentielle en la personne d'Éric Zemmour. Mais alors, qu'est-ce que le masculinisme ? Quelles valeurs ce mouvement englobe-t-il et pourquoi sa résurgence a-telle un impact considérable sur les avancées pour les droits des femmes et des minorités de genre ?

Qu'est-ce que le masculinisme ?

Le masculinisme, c’est un mouvement - ou plutôt des mouvements -qui s’opposent à la cause des femmes et souhaitent le retour à une société traditionnelle et patriarcale.

Les masculinistes ne sont pas de simples machos. Ils s'inspirent d'un vrai corpus idéologique qui cherche activement à mettre en échec les efforts pour l’émancipation des femmes. Éric Zemmour a par exemple publié Le Premier Sexe en 2006, un best-seller qui s'insurge directement contre le Deuxième Sexe (1949) de Simone de Beauvoir, oeuvre magistrale et symbolique du féminisme.

Quand Simone de Beauvoir affirme que “On ne naît pas femme, on le devient”, Éric Zemmour essentialise les femmes en expliquant qu'elles “ne créent pas, elles entretiennent. Elles n’inventent pas, elles conservent.”

D’un point de vue politique le masculinisme part d’un constat simple : les sociétés occidentales traversent une crise de la masculinité (façon politiquement correcte de dire que pour eux, les hommes ne sont plus de vrais hommes) à cause des féministes qui ont pris le pouvoir et qui dévirilisent les hommes.

Les féministes et la liberté des femmes sont donc la raison de la décadence de nos sociétés. Idéologie simpliste s'il en est.

Une crise de la masculinité ?  

Prétendre qu’il y a une crise de la masculinité dès que les femmes cherchent à s’émanciper et que cette déstabilisation des rôles de genre justifie qu’on revienne bien vite à des hommes virils et des femmes à la maison, ça ne date pas d’hier.

Parler de crise de la masculinité ne revient pas à parler de violences faite aux hommes ou bien d’une souffrance liée à la masculinité toxique, mais bien à imaginer que le matriarcat domine et que les hommes sont devenus les victimes d’un système qui ne reconnaît pas leur essence virile.

Déjà à son époque, l'autrice et féministe anglaise Virginia Woolf dans son essai “Une Chambre à soi” (1928) discourait sur les raisons derrière la haine des hommes envers la présence des femmes dans leurs assemblées. Selon elle, il s’agit avant tout d’une peur viscérale du remplacement des hommes par les femmes. Si on exclut les femmes des universités, de la politique ou de l’économie c’est parce qu’on angoisse sur ce que cela voudrait dire sur la place des hommes dans la société, sur les privilèges qu’on leur accorde et leur légitimité à dominer dans les sphères publiques mais aussi privées.

La démonisation du féminisme et des femmes

L'idéologie masculiniste s'attache à démoniser les mouvements de lutte pour l'égalité entre les genres et les femmes.

Attardons-nous sur les arguments des masculinistes tels Éric Zemmour et Alain Soral, essayiste et idéologue d'extrême droite.

Un de leurs grands combats se trouve dans la lutte contre la "féminisation des hommes", qui pose selon eux un problème. Si les hommes ne sont plus virils et forts, c’est parce que les féministes ont gagné leurs combats et ont sorti les femmes de la maison. Les hommes, en découvrant le monde merveilleux des tâches domestiques, perdent leur virilité.

De même, loin d’assumer plus intensément leur rôle de père en s’occupant de leurs enfants, ils deviennent plutôt une “seconde mère”. En effet, les masculinistes étant particulièrement essentialistes, ils perçoivent les femmes et les hommes comme ayant des caractéristiques et des prédispositions spécifiques à leur sexe : la mère s’occupe des besoins primaires de l’enfant et le père sert à la fois d’ouverture sur le monde et de représentation de la loi dans le foyer.

Donc selon les masculinistes, un homme qui s’occupe de changer une couche n’est pas un père accompli mais une mère en devenir. Et c'est un gros problème. Pour remédier à cela, on trouve de plus en plus de stages masculinistes qui proposent à des groupes d’hommes de se retrouver dans la nature pour revitaliser leur virilité.

Et puis, comme les féministes ont fait des hommes des mères, elles ont investi le reste de la société, féminisant les hommes mais aussi leurs sphères. Une bonne illustration de cette vision est le discours d’Eric Zemmour sur les femmes politiques. Pour lui, la politique va mal car on a inclus les femmes et de ce fait "le pouvoir s'évapore dès qu'elles arrivent" (Éric Zemmour, 2013).

Pour les masculinistes, le problème de notre société c’est bien ce trouble dans le genre : des hommes-mères et des femmes-hommes politiques, des individus qui ne respectent pas les limites de leur genre.

Mais ça ne s’arrête pas là. Éric Zemmour et Alain Soral utilisent aussi la haine du féminisme pour légitimer leurs théories racistes et réactionnaires. Puisque les femmes ont maintenant le contrôle de leur corps, la natalité baisse ce qui accroît le besoin d’immigration pour entretenir l’économie nationale, résultant à un grand remplacement des populations européennes par les populations africaines. Dans leur pensée, l’homme africain est perçu comme l'incarnation d’une certaine virilité - il représente donc d’autant plus une menace pour nos hommes occidentaux féminisés qui eux, ont perdu toute virilité et donc toute force pour défendre la patrie.

En effet, une partie du discours masculiniste de ces deux personnages s'appuie sur un volet raciste et civilisationnel. Quand Zemmour brandit la peur du grand remplacement et d'un potentiel affrontement entre les populations occidentales et celles d'Afrique et du Moyen Orient, il utilise donc aussi l'argument de la virilité perdue en Occident face à un patriarcat decomplexé présent dans des sociétés moins avancées sur la question des droits des femmes qui donnerait aux hommes la force nécessaire dans cette potentielle guerre de civilisations. Grosso modo, si cette guerre éclatait, les Européens perdraient en partie à cause des féministes qui ont enlevé aux hommes leurs qualités typiquement masculines de conquête, de force et de violence - donc sans le patriarcat, impossible de vaincre : l'affrontement est un monde typiquement masculin que les femmes (ou dans ce cas les hommes féminisés visiblement) seraient incapables d'appréhender.

Pour Zemmour, en arrêtant de dominer les femmes, les Européens ont aussi arrêté de pouvoir prétendre dominer le monde. Ils sont donc à la merci de ceux qui contrairement à eux, continuent de se comporter comme de "vrais" hommes et d'étendre leur domination "naturelle" sur les femmes et le monde.

Tout cela relève une vision de la masculinité toxique, c'est-à-dire d'une masculinité qui impose aux hommes le rejet de tout ce qui peut être perçu comme féminin, dont l'expression de ses émotions ou un potentiel épanouissement domestique.

La haine des femmes : quand le masculinisme tue 

Toutes ces théories ne s’arrêtent pas au bord des plateaux télévisés - le masculinisme et ses disciples les plus fervents ont des conséquences bien réelles. Les communautés incels (Involuntary Celibats, les "célibataires involontaires") en sont un exemple : regroupés en ligne, ces jeunes hommes estiment que leur célibat est le résultat du rejet systématique qu’ils subissent de la part des femmes. Ces dernières, refusant ainsi de leur accorder les faveurs sexuelles qu’ils semblent mériter de droit, se retrouvent donc être la cible d’une haine propre à leur sexe.  

Le cas le plus tristement célèbre de cette haine anti-femmes et anti-féministe est la tuerie de Polytechnique à Montréal, le 6 décembre 1989. Le tueur entre alors dans l’université, sépare les femmes et les hommes et tire sur les femmes présentes, faisant 14 mortes et 14 bléssé·es avant de se suicider. Dans la lettre qu’il laisse pour expliquer son geste, il indique une motivation politique : celle de la haine des féministes et par extension des femmes qui osent s'aventurer sur des terrains masculins (ici, étudier l'ingénierie). 

Depuis 2014, le masculinisme a fait 75 victimes dont 32 mort·es dans d’autres attentats similaires dans le monde - on parle ici des attaques qui visent directement des femmes et qui furent commises par des masculinistes revendiqués, mais on pourrait y ajouter bien des formes de féminicides comme les meurtres au sein du couple par exemple.

Le masculinisme n’est pas une version masculine du féminisme 

On l’a compris : le masculinisme n'est pas une version masculine du féminisme : si les hommes connaissent des formes de souffrance particulières (les homme ont par exemple un taux de suicide 3 fois plus élévé que celui des femmes malgré un nombre de tentatives plus faible (selon la DREES), plus grande présence dans les emplois dangereux etc) le masculinisme n’est pas une réponse à celles-ci. En mettant en avant la masculinité toxique qui choisit d’occulter les émotions et l’écoute de soi (jugées trop féminines) et de pousser à garder une image de force quoi qu’il advienne, on peut affirmer sans trop de doute qu’on ne règle pas la surreprésentation des suicides ou du mal être lié à un mode de vie dangereux chez les hommes.

C’est pour ça que la meilleure chose à faire si on veut libérer les hommes de leur condition de genre c’est bien de se construire une culture féministe pour apprendre à déconstruire nos stéréotypes et à s'épanouir pleinement !

Féministement,

Laure Niclot (2022), rédactrice Feminists in the City

Sources et Inspirations : 

Francis Dupuis-Déri. (2018). La crise de la Masculinité, autopsie d’un mythe tenace (Remue-Ménage).

Le Monde. (2019, 6 décembre). Il y a 30 ans, le premier féminicide de masse revendiqué. https://www.youtube.com/watch?v=GDo_wZHdE1A%20

Marcuss. (2021, 10 décembre). Le masculinisme d’Eric Zemmour. Médiapart. https://blogs.mediapart.fr/marcuss/blog/091221/le-masculinisme-deric-zemmour-5-12

Marcuss. (2022, 5 janvier). Le masculinisme Incel. Mediapart. https://blogs.mediapart.fr/marcuss/blog/050122/le-masculinisme-incel-10-12

Melissa Blais. (2009). J’hais les féministes (Remue-Ménage).

Slate. (2017, 27 novembre). Attentat de Polytechnique : Quand le masculinisme tue. In Mansplanning. http://www.slate.fr/audio/mansplaining/attentat-de-polytechnique-quand-le-masculinisme-tue

Victoire Tuaillon.( 2019). Contre la rhétorique masculiniste (No 32) [Podcast]. In LesCouilles sur la Table. https://www.binge.audio/podcast/les-couilles-sur-la-table/contre-la-rhetorique-masculiniste/?uri=contre-la-rhetorique-masculiniste%2F

Alexandre Pouchard. (2016, 3 février ). Six chiffres clés pour comprendre le suicide en France. LeMonde. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/02/09/six-chiffres-cles-pour-comprendre-le-suicide-en-france_4861662_4355770.html 

Woolf Virginia. A Room of One’s Own. London: Penguin, 2000.

De Beauvoir Simone. Le Deuxième Sexe. Paris: Gallimard, 1968.

Zemmour : "Les femmes n'incarnent pas le pouvoir". 23 mars 2013. BFMTV. https://www.bfmtv.com/politique/zemmour-les-femmes-n-incarnent-pas-le-pouvoir_AN-201303260081.html