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Faut-il rouvrir les maisons closes?

Par Loulou d'Arabella pour Feminists in the City

· Histoire,Débats

Faut-il rouvrir les maisons closes? Cette problématique féministe est abordée dans la visite féministe "La libération sexuelle contée par des hystériques" organisée par Feminists in the City à Pigalle/Montmartre. Loulou d'Arabella tente d'y répondre.

C’est en seulement deux lignes que Le Figaro annonce, le 13 avril 1946 que “Le Journal Officiel a publié la loi interdisant les maisons de tolérance sur l’ensemble du territoire français.”

Nous sommes a priori loin d’une date importante.

Et pourtant, plus de 70 ans après et malgré leur fermeture, les maisons closes fascinent toujours.

Petite histoire des maisons closes : entre tolérance et prohibition

Si la prostitution est souvent dépeinte comme le “plus vieux métier du monde”, c’est au Moyen-Age qu’il faut remonter pour appréhender les bases de l’organisation prostitutionnelle en France.

Les établissements de “petites moeurs” étaient alors tenus par des bourgeois ou des ecclésiastiques qui payaient un bail aux autorités et étaient déjà signalés par la fameuse lanterne rouge allumée durant les heures d’ouverture.

A cette époque le rôle des prostitué·es est tellement normalisé que les deux tentatives d’interdiction de la prostitution connaissent chacune un échec cuisant. Louis IX et Saint Louis qui, s’apprêtant chacun à leur époque à partir en croisade, tentent d’extirper le mal du royaume en abolissant la prostitution par le biais d’ordonnances royales. Ces dernières, mettant dans l’illégalité l’ensemble des prostitué·es dans le pays créent un tel désordre que les ordonnances sont rapidement révoquées.

Les filles publiques seront d’ailleurs non seulement reclassées mais rémunérées par Saint Louis pour suivre la huitième croisade...

Cette période de tolérance se poursuivra jusqu’au XVIe siècle avec l'apparition de la syphilis et la Réforme à laquelle les villes catholiques répondent par le retour à une morale plus rigoureuse.

L’Ancien Régime connaît alors des périodes plus ou moins libérales quant à la prostitution et aux maisons closes jusqu’à la Révolution qui finit par dépénaliser le sujet tout en ne faisant rien pour l’officialiser non plus.

C’est le Consulat qui fait finalement le choix d’une vraie tolérance en mettant en oeuvre une véritable organisation des maisons closes.

L’arrêté du 3 mars 1802 légifère ainsi sur la visite sanitaire obligatoire des filles publiques pour endiguer l’épidémie de syphilis faisant rage à cette époque. Sur ordre de Napoléon, le préfet de police de Paris, Louis-Nicolas Dubois prescrit l’organisation officielle des maisons de plaisirs. L’année 1804 voit ainsi la légalisation des maisons closes.

Fermeture des maisons closes : un acte plus contextuel que féministe

À la fin de la 2nde Guerre Mondiale, plusieurs raisons ont fortement encouragé l’opinion publique à soutenir la fermeture des maisons closes.

Pendant l'occupation, la Wehrmacht encourageait et organisait un système de prostitution afin d'éviter les problèmes engendrés par des rapports avec des femmes colportant des maladies sexuelles. Les bordels étant réservés à la Gestapo et aux soldats allemands, les patrons des maisons closes, notamment les plus célèbres, furent accusés, à la Libération, d’avoir collaboré avec l’occupant nazi.

L’autre raison est qu’en 1945, les soldats américains encouragés par la propagande de l’armée américaine, vont se livrer à de multiples abus sur les Françaises, la libération américaine s’accompagnant en effet d’une sorte de conquête sexuelle par les héros américains. La pauvreté de l’époque pousse de nombreuses Françaises à se livrer à la prostitution pour subvenir à leurs besoins. La prostitution échappe alors à tout contrôle, les autorités françaises sont dépassées et manquent de moyens.

C’est alors que Marthe Richard, ancienne prostituée et élue parisienne, profite de la mauvaise réputation des tenanciers accusés de collaboration pour proposer l’interdiction. Avec la loi “Marthe Richard”, la France adopte en 1946 un régime abolitionniste qui ferme les maisons de tolérance et prévoit la création des services de prévention et de réadaptation sociale (SPRS) dans les grandes villes françaises.

Les maisons closes ont alors six mois pour fermer.

Six mois plus tard, le budget permettant aux prostituées de se reconvertir n’est pas à la hauteur et 40 000 “soumises” se retrouvent à la rue.

Malgré le désaccord de nombreux mouvements féministes ainsi que celui du principal syndicat des travailleurs du sexe (STRASS), la situation précaire de la prostitution de rue interroge sur l’opportunité d’une dépénalisation des maisons closes.

Pour la prostitution mais contre la réouverture des maisons ?

De nombreuses figures féministes ont de tout temps décrié l’acte de prostitution qui à leurs yeux ne pouvait qu’être une violence infligée à une femme et jamais un choix personnel de cette dernière.

Louise Michel - qui luttait pour les droits des femmes - écrivait ainsi dans ses Mémoires :

“Si les grands négociants des marchés de femmes qui parcourent l’Europe pour leur négoce étaient chacun au bout d’une corde, ce n’est pas moi qui irais la couper.”

Mais l’opinion qu’on a de la prostitution doit-elle automatiquement se substituer à celle que l’on a des maisons closes ?

Si de nombreuses travailleuses du sexe en France ne sont pas en faveur du retour des maisons de tolérance, qui ne leur permettent pas de conserver le choix de leurs clients, pratiques, horaires, prévention, etc, elles n’en souhaitent pas moins changer de métier.

Grisélidis Réal, écrivaine et prostituée faisait partie du mouvement revendiquant un véritable statut pour les prostituées, la sécurité sociale, la fin de la répression policière tout en s’opposant fermement à la réouverture des maisons closes.

Les mouvements prônant la réouverture se font plus rares mais méritent d’être cités.

La députée LREM Valérie Gomez-Bassac, députée dans le Var, s’est dite favorable au retour des maisons closes afin

“d’assurer les règles les plus élémentaires d’hygiène et de sécurité ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.”

L’argument est intéressant car il rappelle l’époque ou la prostitution constituait un véritable service public. Car si l’organisation de la prostitution en France s’est faite au Moyen-Age, c’est à Athènes que les premières maisons closes sont nées. Le législateur Solon les avait inaugurés sous le nom de dicterion, bordels étatiques tenus et surveillés par des fonctionnaires.

Si considérer la réouverture des maisons de tolérance comme un acte de service public peut paraître choquant, ne peut-on pas penser a minima à une protection de l’Etat pour une population qui, pendant des siècles, fut considérée comme faisant partie intégrante de la société ?

Si de nombreuses travailleuses du sexe sont contre la réouverture des maisons closes, c’est avant tout parce qu’elles sont contre le salariat.

Mais quid des femmes et hommes qui n’ont pas le privilège de pouvoir choisir le lieu, le client, la position, d’être “freelance” ? L’Etat devrait pouvoir leur offrir une alternative légale, saine, sécurisante sans condamner leur activité.

Parallèlement à son combat politique, Grisélidis Réal a toujours revendiqué un rôle social de la prostitution qu'elle considérait comme une activité qui soulage les misères humaines et qui a sa propre grandeur.

Réouvrir les lupanars sous protection étatique et en garantissant les libertés individuelles des “filles” n’est-il pas l’opportunité de reconnaître enfin le véritable rôle des prostitués et prostituées dans notre société ?

N’est-ce pas l’occasion de leur rendre la place publique et assumée qui était la leur ?

De les faire exister finalement.

Bibliographie/Filmographie

 

 

 

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