Pourquoi ces personnages féministes fictifs de séries et films nous ont-ils tant marqués?
En quoi ces femmes ont-elles génialement ouvert de nouvelles brèches et de nouvelles façons de nous représenter? Je mets en valeur dans cet article cinq d’entre elles que l’on a découvert dans la fiction et qui nous suivent pourtant bien au-delà aujourd’hui, dans notre quotidien, dans nos conversations et dans notre imaginaire.
Fleabag dans Fleabag
"I sometimes worry that I wouldn’t be such a feminist if I had bigger tits" - Fleabag
On ne connaît pas le vrai nom de Fleabag: elle peut être une Emma, une Lucy, une Jeanne, une Cécile, une Mary… Bref, on peut toutes facilement s’y identifier. Fleabag c’est la féministe qui culpabilise, qui ne se reconnaît pas dans les définitions qu’on en donne, qui aime le sexe, qui est seule, qui souffre de l’absence brutale d’amitié(s) et de contacts profonds en général. Elle vit dans un environnement empreint de la délicieuse agressivité passive de ses proches, l’hostilité et précarité de la grande capitale londonienne.
Bref, on suit l’existence d’une femme qui survit à Londres, tout en profitant, nous, d’une complicité incroyable avec elle quand elle nous livre, face caméra, ses pensées que les autres ne connaissent pas. Elle ironise alors avec brio la triste solitude qu’elle vit, rythmée par les coups d’un soir vains, le naufrage proche de son café et les relations familiales compliquées. En tant que téléspectateur·rice, on joue le rôle de l’ami·e imaginaire de Fleabag qui, dans sa réelle détresse affective et psychologique, nous offre un portrait comique et brutalement réaliste de la (sur)vie d’une trentenaire anglaise.
Jess dans New Girl
"I Hope You Like Feminist Rants, Because That's Kinda My Thing" - Jess, New Girl
"Who’s that girl? It’s Jess!" Ce qui m’a particulièrement parlé dans ce personnage ce sont ses contradictions. Sous son apparence dorky, à écouter du Taylor Swift et aimer la couture, le personnage ironise totalement la vision de la femme stéréotypée. C’est d’ailleurs face au mépris d’une autre femme qui la considère « trop féminine et émotive » pour être vraiment prise au sérieux qu’elle se décrit avec clairvoyance :“I brake for birds. I rock a lot of polka dots. I have touched glitter in the last 24 hours. And that doesn’t mean I’m not smart and tough and strong.” ["Je freine lorsqu’il y a un oiseau. Je porte beaucoup de vêtements à pois. J'ai touché des paillettes au cours des dernières 24 heures. Et ça ne veut pas dire que je ne suis pas intelligente, dure et forte."]
Jessica Day affirme ses contradictions comme l’expression même de son individualité. C’est d’ailleurs ainsi que se décrit Roxane Gay dans son manifeste Bad Feminist: « I am a mess of contradictions » [" Je suis un fouillis de contradictions "]
C’est en s’affirmant en tant que femme qu’elle devient féministe: elle milite pour l’élection d’Hilary Clinton contre Donald Trump, s’indigne de la misogynie de la "Walk of Shame" et permet à ses colocataires masculins de s’exprimer au-delà des codes du genre, entre autres.
Et puis en vrai, elle est vraiment hilarante. Shout out à Zooey Deschanel pour l’interprétation !
Eleven dans Stranger Things
Eleven, on la découvre dès les premiers épisodes de Stranger Things: enfant, traitée comme rat de laboratoire, privée de parole, sous l’emprise physique et émotionnelle de son « Papa », le Docteur Brenner. Malgré l’oppression patriarcale qu’elle subit, elle parvient à s’enfuir et rejoindre le monde externe, loin des tests scientifiques. Elle se retrouve dans une bande de mecs pré-pubères qui l’acceptent comme leur égale, voire même comme leur leader, et devient le seul personnage capable de sauver le monde de la menace de l’Upside Down!
Eleven c’est la clé de la série. Et Stranger Things devient alors l’histoire de cette jeune fille qui parvient à reprendre le contrôle de sa vie, après le traumatisme de l’absence d’amour, de la séquestration et de la violence corporelle et mentale. Eleven c’est une survivante, en quête d’identité et de liberté. C’est notamment par la parole, par sa capacité grandissante de pouvoir enfin s’exprimer qu’elle reprend le pouvoir… littéralement !
Psst d’ailleurs si t’as adoré ce personnage, je te conseille la série I am not okay with this sur Netflix, je n’en dis pas plus…!
Cleo et Sofia dans Roma
"No matter what they tell you, women, we are always alone." - Roma
Je conclurai sur ce duo du film Roma que j’ai découverte pendant le confinement. Cleo, jeune domestique dans une maison bourgeoise de Mexico City, s’occupe des quatre enfants de sa patronne Sofia, trompée et abandonnée par son mari de manière brutale et mystérieuse. En parallèle, Cleo tombe enceinte d’un homme qui ne souhaite pas la revoir et ne veut pas reconnaître l’enfant. Malgré des réalités bien différentes, les deux femmes évoluent parallèlement à l’écran, toutes deux confrontées à l’abandon et l’absence de figure masculine. Leur souffrance est vécue de manière bien distincte : Sofia peut compter sur le soutien de sa famille et sur ses amis, rendant le silence et la solitude de Cleo d’autant plus marquants. Un tel décalage permet de rendre visible l’invisible et ainsi de tourner le regard du spectateur et de la spectatrice vers une femme d’un groupe social et ethnique trop souvent ignoré.
Roma, dans toute sa splendeur de noir et blanc, permet de mettre en lumière les femmes mises de côté par les hommes, ainsi que celles mises de côté par la société de manière générale. Vers la fin du film, une phrase retient tout particulièrement mon attention: "No matter what they tell you, women, we are always alone.". [« Peu importe ce qu’on vous dit, femmes, nous sommes toujours seules »] Ce n’est plus Cleo et Sofia, deux femmes que tout oppose, mais bien « nous les femmes », sans ségrégation de classe ni de couleur de peau. Une citation qui me semble bien définir leur relation complexe comme une forme de solidarité sororale.
Si vous aimez les séries et que le féminisme vous intéresse, je vous conseille de lire le Top 10 des séries féministes à regarder sans plus tarder !