Il y a encore du boulot dans le domaine de la photographie…
Selon Female In Focus, les femmes ne représenteraient que 15% des professionnels de l’industrie…
En effet, les lieux de la photographie demeurent toujours des espaces masculins et n’offrent donc toujours pas une chance égale aux hommes et aux femmes… « C’est le sexisme de base, normal, acquis», avoue Marion Hislen, déléguée à la photographie au Ministère de la Culture…1
Dans ce nouveau blog pour Feminists in the City, je vous propose alors de découvrir (ou redécouvrir) cinq femmes photographes contemporaines qui analysent le monde sous le prisme du genre et du féminisme.
1. Cindy Sherman, Untitled Film Stills
Dans les années 70, Cindy Sherman se fait connaître par sa série de photos en noir et blanc Untitled Film Still, dans laquelle elle interprète elle-même des personnages féminins du cinéma européen et américain. Ainsi, elle affirme que l’identité de la femme est trop souvent associée à son physique: elle existe pour être regardée. En retravaillant ces archétypes féminins, à la fois en tant qu’artiste et objet artistique, Sherman reprend le pouvoir et interrompt ainsi le monopole du regard masculin sur les images.
Elle continue ce travail sur l’identité en se transformant en de multiples personnages pour représenter aristocrates, sirènes, hommes du clergé… Ses performances déconstructives, son jeu avec les codes de l’art, du genre, de la célébrité et de la photographie répondent avec humour et critique aux stéréotypes des médias de masse.
Une autre série majeure de son oeuvre est Sex Pictures dans laquelle elle met en scène cette fois-ci des mannequins en plastiques et des prothèses. Elle les démembre et les rassemble afin de créer des êtres hybrides, à la fois masculins et féminins. Avec répulsion, elle accuse la pornographie de fétichisme, réduisant les individus à des parties du corps. L’une de ses photos met en scène une femme-tronc, réduite à un orifice.
Considérée comme l’une des photographes les plus importantes de notre époque, ses oeuvres ont été exposées dans les plus grandes institutions: le MoMa de New York, le Tate Museum de Londres ou encore à la fondation Louis Vuitton de Paris.
Vous voulez en savoir plus? Il y a quelques articles sur le site du MoMA (Museum of Modern Art de New York) qui pourraient vous intéresser.
2. Yagazie Emezi, Re-learning Bodies
"Travelling made me realise that the women I grew up around were not considered to be beautiful" - Yagazie Emeri
Photo-journaliste du Nigéria, Yagazie Emezi est une artiste autodidacte qui concentre son travail autour des femmes et plus particulièrement autour de la perception du corps, la sexualité ou encore la santé en Afrique.
Parmi ses travaux personnels, on retrouve la magnifique collection - toujours en cours de développement - Re-learning Bodies, dans laquelle elle explore la manière dont on se réapproprie son corps, après de grosses blessures physiques, avec souvent un impact psychologique. Elle se pose la question de l’influence de l’entourage, la communauté et la classe socioéconomique sur la manière de s’ajuster et guérir du traumatisme violent subi par leur corps et leur esprit.
Le regard de son spectateur permet aussi à Yagazie Emezi de développer son oeuvre et d’explorer d’autres questions en rapport aux standards de beauté. En effet, elle affirme que les femmes africaines sont d’abord souvent considérées comme africaines avant d’être femmes, leur image étant alors encore trop souvent exotisée et stéréotypée. Elle participe notamment au mouvement #EverydayAfrica, collectif de photographes qui cherche à créer une perception plus juste de la vie quotidienne en Afrique. Ce projet lutte contre les stéréotypes qui faussent notre bonne compréhension de la réalité!
Bref, filez sur le site web de Yagazie Emezi pour y découvrir son travail.
Et ici les Everyday Projects, dont fait partie #EverydayAfrica.
3. Marinka Masséus, Silent Voices - L[G]BT Iran
"For me, being a feminist means identifying with the rights of all women worldwide" -Marinka Masséus
Après un MBA et des études sur la psychologie bouddhiste, Marinka Masséus choisit l’académie de Photo d’Amsterdam pour traduire ses idées en images. Elle tente de communiquer au reste du monde les discriminations dont elle est témoin par la photo. Son indignation envers les injustices la pousse à investiguer des sujets divers: des femmes violentées aux enfants albinos rejetés, elle leur offre un espace visuel pour exprimer leur souffrance et leurs espoirs.
L’un des thèmes récurrents de la photographe est l’exploration de l’inégalité des genres. Sur cela je vous conseille d’aller voir sa série Silent Voices, L[G]BT Iran sur les femmes lesbiennes de Téhéran, qui souffrent d’une double discrimination, d’abord pour être femme puis pour être lesbienne. L’acte sexuel entre deux femmes est puni de 100 coups de fouet et d’un possible emprisonnement…
Marinka Masséus nous raconte que les femmes iraniennes sont souvent forcées à épouser des hommes dont elles deviennent dépendantes financièrement et à qui elles doivent disponibilité sexuelle, le viol marital n’étant pas un crime… Une oppression du corps et de l’individualité qui est justement et intimement représentée dans la photographie de Masseus. Les femmes se cachent pour s'exprimer, révélant leur désirs et leur souffrance seulement dans l’ombre… La photographe appelle à la sororité, au soutien international que ces femmes lesbiennes ne reçoivent pas des institutions: "For me, being a feminist means identifying with the rights of all women worldwide".
“During the three days that I was forced to attend the “sexual reorientation course,” I was tortured. Before the course started, my father made me take a virginity test and filed the results of the tests with the authorities. The course took place in a remote place outside of the town. The interrogation happened in a separate room…the interrogators tortured me by pouring boiling water on my skin and beating me, especially on the head.”
Découvrez les autres photographies de la série Silent Voices - L[G]BT Iran sur le site internet de Marinka Masséus.
4. Scarlett Coten, Mectoub
« Ils sont dans l’abandon » : c’est ainsi que la photographe française Scarlett Coten définit ses sujets masculins dans la série Mectoub. Formée à l’Ecole Nationale de la Photographie d’Arles, elle étudie principalement les thèmes de l’identité, du genre et de l’intimité au travers de portraits.
Depuis 2012, elle photographie ces hommes participant aux mouvements de libération, en Afrique du Nord et au Moyen Orient. Le but de son travail est qu’ils se montrent tels qu’ils sont : un homme en talons aiguilles à la tête d’un magazine LGBTQ, des hommes tatoués, alors que c’est interdit par la loi, ou encore des individus qui assument leur homosexualité et risquent la prison.
Elle cherche à casser l’image clichée de l’homme arabe et capturer des images plurielles de la masculinité. Elle met en valeur la complexité de l’homme, dans son désir d’être lui-même malgré l’oppression patriarcale qu’il subit.
Au travers de son regard féministe, elle renverse alors les codes de l’art qui ont longtemps capturé les corps féminins au travers du regard masculin. Elle prend la position de l’artiste et l’homme, de l’objet artistique. Dans le journal anglais The Guardian, elle déplore le manque de visibilité de son travail en France, où on lui demande trop souvent de justifier pourquoi en tant que femme elle explore les pays arabes ou même encore si elle a couché avec ses sujets… Alarmant2!
Elle reçoit le prestigieux prix Leica Oskar Barnack Award et continue aujourd’hui son étude sur les masculinités aux Etats-Unis au temps de la présidence de Donald Trump.
Vous pouvez en apprendre plus sur elle en lisant cet article de Beware.
Je vous conseille également de faire un tour sur son site internet.
5. Haley Morris-Cafiero, The Bully Pulpit
« Plutôt que de leur répondre avec un texte qui peut être supprimé, une image ne peut être effacée d’Internet. J’ai décidé de répondre avec une photo qu’ils ne pourront jamais supprimer » - Haley Morris-Cafiero
Je poursuis mon article avec une autre artiste entre photographie et performance: la géniale Haley Morris-Cafiero!
Je l'ai découverte grâce à sa série photographique Bully Pulpit, dans laquelle elle se déguise, porte des fausses barbes, de faux muscles gonflables… Méconnaissable, ce ne sont pas des autoportraits affirme-t-elle… Mais qui sont alors ces personnages absurdes et comiques qu’elle incarne?
Nuls autres que ses propres « bullies », ces personnes qui ont tenté de l’intimider au travers d’insultes grossophobes et sexistes sur les réseaux et par e-mail!
Haley Morris-Cafiero décide alors des les tourner en personnages grotesques, accompagnés des messages dont ils étaient les auteurs. Avant cachés derrière un écran, ils sont aujourd’hui caricaturés par l’artiste, à l’image de la bêtise et de la lâcheté de leurs commentaires.
« Plutôt que de leur répondre avec un texte qui peut être supprimé, une image ne peut être effacée d’Internet. J’ai décidé de répondre avec une photo qu’ils ne pourront jamais supprimer », dit-elle.
Bully Pulpit permet d’accroître la sensibilisation de ce phénomène qui persiste sur les réseaux et de la même façon, de décroître le pouvoir des mots blessants dont elle a été victime par la meilleure des défenses: l’humour!
Allez la soutenir en allant visiter son site web.
Sources :
1. Fisheye Magazine (2017) "Femmes photographes: les acteurs de la photo se positionnent" (lien)
2. Moroz, Sarah (10 Nov 2017) "Tattoos, satin heels and pet snakes: the men redefining masculinity in the Middle East", The Guardian (lien)