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Le porno peut-il être féministe?

Par Loulou d'Arabella - Feminists in the City

· Débats

Linda Lovelace, Marilyn Chambers, Bambi Wood, Claudine Beccari, Brigitte Lahaie, Cathy Stewart, Mia Khalifa, Clara Morgane, Katsuni...Tous ces noms, nous les connaissons plus ou moins. Parfois de très près, parfois de loin. Toutes ces femmes font partie de la grande histoire de la pornographie. Le porno, considéré comme l’ennemi n°1 de certains mouvements féministes, se voit remis au goût du jour par l’émergence d’un nouveau genre : le porno féministe. Celui-ci a pour objectif d’aller à contre courant des films pornos traditionnels et phallocentrés pour mettre en scène le désir des femmes.

Des Gentlemen’s clubs au streaming

Les films pornographiques trouvent leurs origines au début du XXème siècle aux Etats-Unis dans des clubs privés pour hommes - les Gentlemen’s clubs - ou dans des maisons closes, afin d’émoustiller les clients. En France, ces films seront soumis à la censure jusqu’à la période Giscard du milieu des années 70. La France découvre Linda Lovelace en toute première porn star avec la sortie de Gorge Profonde en 1972 et du phénomène Emmanuelle dans les cinémas français. La vague de distribution de films pornos à l’époque aura pour conséquence directe l’adoption en 1975 de la loi sur le classement X.

L’âge d’or de la cassette vidéo bouleverse l’économie de l’industrie porno dans les années 80 et 90. Un nouveau mode de consommation voit le jour, le grand public pouvant désormais posséder et collectionner ses propres films, il quitte peu à peu les salles sombres des cinémas X parisiens (le tout dernier a fermé en février 2019). Les cassettes laissent la place aux DVD qui eux-mêmes capitulent face à l’arrivée d’Internet, du téléchargement illégal et de l’adoption par les sociétés de production de la vidéo à la demande.

Du catéchisme de l’Eglise catholique à l’émergence du porno féministe

Dès son apparition, la pornographie fut présentée comme l’ennemi à abattre par l’Eglise tout d’abord puis, plus tardivement, par la seconde vague féministe des années 60 et 70. L’extrait suivant du Catéchisme de l’Eglise catholique présente les raisons de son opposition à la pornographie :

« La pornographie consiste à retirer les actes sexuels, réels ou simulés, de l’intimité des partenaires pour les exhiber à des tierces personnes de manière délibérée. Elle offense la chasteté parce qu’elle dénature l’acte conjugal, don intime des époux l’un à l’autre. Elle porte gravement atteinte à la dignité de ceux qui s’y livrent (acteurs, commerçants, public), puisque chacun devient pour l’autre l’objet d’un plaisir rudimentaire et d’un profit illicite. Elle plonge les uns et les autres dans l’illusion d’un monde factice. Elle est une faute grave. Les autorités civiles doivent empêcher la production et la distribution de matériel pornographique. »

Plus tard, la juriste et militante féministe américaine, Catherine MacKinnon tentera de combattre légalement la pornographie en allant jusqu’à publier, en 1983, une Antipornography Civil Rights Ordinance visant à interdire la pornographie en tant que violation des droits des femmes et en l’assimilant à une forme d’incitation à la haine. Pour la citer, “La pornographie est la théorie. Le viol, la pratique.”

Si le féminisme de seconde vague a majoritairement été abolitionniste vis-à-vis du porno, il en va autrement de la troisième vague des années 80 qui s’élève contre le caractère blanc et bourgeois du féminisme radical de la décennie précédente. Ce nouveau mouvement place la sexualité au centre de sa réflexion qui se proclame sex positive aux Etats-Unis. Il est notamment portée en France par Virginie Despentes. Les premiers films pornos féministes voient le jour. L’émergence de ce nouveau genre répond au constat que la sexualité montrée dans les films pornos est très largement phallocentrée, c’est à dire uniquement centrée sur le plaisir masculin et l’éjaculation de l’homme comme finalité du film. Le porno féministe a donc pour objectif de redonner sa place à une perspective féminine du sexe et du plaisir avec par exemple des films se finissant sur l’orgasme de la femme ou encore des métrages montrant des physiques plus divers que ce que l’on peut trouver sur Youporn.

Le porno, vraiment sexiste ? Le porno féministe, vraiment féministe ?

La quatrième vague féministe illustrée par le mouvement #Metoo a un peu pris du radicalisme de sa grand mère et du féminisme pro-sexe de sa mère. La réflexion sur le consentement et le plaisir féminin est à son apogée depuis 2012 et l’écart entre les différents mouvements féministes se creuse avec d’un côté celles qui dénoncent le #notallmen et de l’autre, celles qui rappellent l’existence d’une féminité toxique.

Concernant le porno féministe, le genre connaît de plus en plus de succès avec des réalisatrices telles qu'Erika Lust qui fait fureur en proposant des films en ligne inclusifs et réalistes mettant exclusivement en scène des fantasmes féminins, qu’elle recueille sur son site. Mais ce nouveau genre est-il une solution ? L’industrie pornographique actuelle est-elle véritablement sexiste ?

De nombreuses féministes ont critiqué l’hypocrisie de celles et ceux qui veulent interdire la pornographie en raison de son caractère sexiste alors même que le sexisme existe partout ailleurs. Un argument mis en avant par les mouvements féministes anti-porno est l’observation des origines sociales de la majorité des actrices porno. Il semblerait alors difficile d’affirmer que la pornogaphie est un choix.

Mais quelle réelle différence entre la violence économique d’une hardeuse et celle d’une femme de ménage ? L’une des deux situations résulte-t-elle plus d’un choix que l’autre ? En parlant de salaire, l’industrie pornographique est la seule industrie où les femmes sont mieux payées que les hommes comme le montre cette campagne sur les inégalités salariales.

Susie Bright, auteure féministe, a d'ailleurs écrit : “Tous les médias commerciaux sont sexistes. La seule différence de la pornographie est qu’il s’agit de gens qui ont des rapports sexuels et nous vivons dans un monde qui ne peut pas tolérer cette image.” De ce point de vue, les féministes anti-porno ne se différencient pas de la pensée patriarcale sexiste : la sexualité de la femme doit être cachée.

Le porno féministe, qui montre explicitement la sexualité de la femme et montre des actrices plus de “vocation” qu’en situation de vulnérabilité économique, pourrait alors être la solution. En lisant des témoignages sur le porno féministe, il est pourtant facile de s’apercevoir que les femmes qui ne se retrouvent pas dans le porno Youporn, parlent de la douceur, de l’érotisme et des sentiments qu’elles peuvent enfin trouver dans le porno féministe. Beaucoup de témoignages portent également sur la diversité des corps qu’on ne trouve que rarement sur les sites pornos traditionnels.

Aussi, s’il est tout à fait légitime pour quiconque de ne pas être automatiquement excité par un film mal tourné avec de mauvais cadrages, de mauvais acteurs et des dialogues grossiers, une femme ne peut-elle pas aussi être excitée par des films pornos traditionnels ? Le porno féministe se disant “pour les femmes” peut finalement exclure de sa réflexion le fait que beaucoup de femmes puissent être excitées par les mêmes choses que les hommes. La sexualité de la femme peut se retrouver encore une fois normée. Une femme peut trouver la tendresse rasoir et le gang bang plus excitant. Un homme peut être émoustillée par une scène romantique et trouver une paire de seins refaits peu attrayante.

N’est-ce pas finalement cela, l’égalité sexuelle ?

Il est aussi intéressant de constater que les sites de porno en streaming abritent en fait bien plus de diversité qu’il n’y paraît : #black, #latina, #asian, #milf, #naturaltits, #thick sont autant de hashtags que de formes de corps et de couleurs de peau que l’on peut trouver sur ces sites. S’il faut bien admettre que le scénario de la femme soumise est un classique indémodable sur ces sites, toutes les sexualités sont présentes. Les vidéos de femmes dominatrices font aussi partie du décor.

Dans son livre Fausse route, Elisabeth Badinter écrivait “En luttant pour l’élargissement de la répression du crime sexuel à la prostitution et à la pornographie, le féminisme bien pensant n’hésite pas à faire alliance avec l’ordre moral le plus traditionnel.” Le porno féministe, s’il veut subsister et satisfaire au besoin de productions de meilleure qualité pensée par et/ou pour les femmes, devra prendre en compte toutes les sexualités de femmes même lorsque celles-ci correspondent à un schéma supposément misogyne. Ne pas le faire c’est prendre le risque de devenir encore plus sexiste que l’industrie qu’il combat.

Bibliographie:

  • Catéchisme de l’Eglise catholique - Les offenses à la chasteté
  • In Harm’s Way : The Pornography Civil Rights Hearings, Catharine MacKinnon et Andrea Dworkin
  • Livre Sexwise, Susie Bright
  • Livre Fausse route, Elisabeth Badinter
  • King Kong Theory, Viriginie Despentes
  • Hot Girls Wanted, épisode 1, Netflix

Pour aller plus loin :

  • Porno manifesto, Ovidie
  • Films X : y jouer ou y être, Ovidie
  • Penser la pornographie, Ruwen Ogien