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Ces femmes marseillaises qui ont changé l'histoire

par Julie Marangé et Cécile Fara, co-fondatrices de

Feminists in the City

· Portraits de femmes

A l'occasion du lancement de notre visite féministe de Marseille, nous nous sommes plongées dans l'histoire de la cité phocéenne, et plus particulièrement, de celle des femmes qui y sont nées et y ont vécu. Nous avons choisi de vous en présenter quelques-unes dans cet article, avant de vous en faire découvrir de nombreuses autres, tout aussi inspirantes, au cours de notre visite !

1. Simone Weil (1909-1943)

Simone weil Marseille

Née d'une famille juive et domiciliée 18 mois 8 rue des Catalans à Marseille, Simone Weil est une philosophe humaniste, reconnue pour sa pensée religieuse, mystique et anarchiste.

À la suite de ses études au prestigieux Lycée Henri IV, elle entre à l'École Normale Supérieure (ENS) dans les années 20: c'est un accomplissement considérable pour une femme de son époque. Elle y étudie la philosophie et reçoit l'agrégation en 1931 (elle est reçue septième). Elle débute ainsi une carrière de professeure de philosophie.

Entre 1934 et 1935, la philosophe prend la décision de travailler en usine (dans l'entreprise Alstom puis chez Renault) afin de se confronter à la réalité et de "découvrir la vérité" de la vie. C'est ainsi que se développe sa dénonciation de l'aliénation du travail.

Dès 1936, un nouvel engagement l'appelle: celui de la guerre d'Espagne, dans laquelle elle s'engage avec les Républicains avant d'appeller à la prise des armes dès l'invasion de Prague par les Allemands en 1938. C'est à ce moment que l'autrice se passionne pour le Christ, même si elle ne se convertit pas au christianisme.

Lassée de sa propre passivité face aux Allemands, elle devient résistante française pendant la Seconde Guerre mondiale, et rejoint la France Libre à Londres. Elle meurt à Ashford en 1943, âgée de 34 ans, laissant derrière elle un travail philosophique mémorable. Ses ouvrages les plus connus sont:

-L'Enracinement, Prélude à une déclaration des devoirs envers l'être humain, 1re éd. Paris, Gallimard, coll. « Espoir », 1949, rédigé lors de son expérience aux côtés de De Gaulle et de la France Libre en 1943 mais qui ne fut publié en France qu'en 1949.

-Oppression et liberté, Paris, Gallimard, coll. "Espoir", 1955, ouvrage de théorie politique dans lequel elle examine les causes et le déroulement de l'oppression politique et sociale historique et contemporaine.

-La Pesanteur et la Grâce, Plon, Paris, 1988, ouvrage témoignant de la transition personnelle de Simone Weil d'activisme politique à introspection spirituelle

-Attente de Dieu, Paris, Fayard, 1966, qui traite des interrogations mystiques et religieuses de l'autrice

2. Raymonde Tillon (1925-2016)

Née en 1925 et disparue en 2016, Raymonde Tillon fut l'une des premières femmes françaises élues députées au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Résistante acharnée, elle consacra sa vie à la politique - communiste, de gauche - et à l'amour de sa patrie.

Éduquée dans un orphelinat religieux, l'intrépide Raymonde Tillon s'enfuit avant sa majorité pour retrouver son frère à Arles. Très jeune, elle adhère au Parti Communiste Français (PCF), marquant ainsi le début de son engagement politique.

Elle s'installe quelques années plus tard à Marseille et milite activement pour le Front Populaire. Dans cette lignée, elle fonde aux côtés de Danielle Casanova le groupe marseillais de l'Union des jeunes filles de France du PCF. Le groupe entreprend rapidement une action humanitaire en Espagne, aux républicains en pleine guerre civile.

La Seconde Guerre Mondiale représente un tournant dans la vie de Raymonde Tillon: elle entre en résistance active. Dénoncée, elle est arrêtée le 31 mars 1941, et est condamnée à vingt ans de travaux forcés par le tribunal maritime de Toulon. Incarcérée à Marseille, Toulon puis Lyon, les Allemands la déportent en 1944 à Sarrebruck puis à Ravensbrück. Les nazis l'envoient finalement dans un Kommando de Leipzig où, Raymonde Tillon, résiliente, orchestre le sabotage de la fabrication de douilles d'obus. Elle parvient à s'évader en 1945 - de manière spectaculaire pour son état physique - et regagne Paris avant de retourner à Marseille pour reprendre son activisme politique. Féministe, elle devient responsable de la commission féminine de l'union départementale de la CGT.

Elle est élue députée de la 1re circonscription des Bouches-du-Rhône le 21 octobre 1945, sur la liste menée par François Billoux, devenant ainsi l'une des pionnières à siéger dans une Assemblée nationale grâce au suffrage devenu universel en 1944. Elle sera finalement exclue du PCF en juillet 1970, suite à sa prise de position sur l’intervention des troupes soviétiques en Tchécoslovaquie en juin 1968.

Elle publie ses mémoires en 2002: J'écris ton nom liberté: des camps nazis à l'Assemblée nationale, Paris, Éditions du Félin, coll. « Résistance, liberté et mémoire », 2002.

3. Gaby Deslys

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L'histoire de Gaby Deslys est celle d'une Marseillaise devenue la première star internationale de music-hall. Née en 1881 dans une famille de négociants en tissus de Marseille, Marie-Elise Gabrielle Caire prend, pendant son adolescence, des cours de solfège et de chant au conservatoire de la ville. Elle part pour Paris en 1900 et va enchaîner de petits rôles dans des bars et cafés, se faisant progressivement connaître de la scène artistique parisienne. C'est d'ailleurs à ce moment-là qu'elle adopte son nom de scène, Gaby Deslys.

En 1906, elle a l'opportunité de se produire à Londres, et c'est là qu'elle va acquérir sa véritable célébrité, gagnant assez d'argent pour s'acheter un hôtel particulier à son retour à Paris un an plus tard - fait particulièrement rare pour une femme au début du XXe siècle. Sa carrière est fulgurante : elle se produit au Moulin Rouge, voyage dans de nombreux pays, invente de nouvelles danses... Elle se fera particulièrement remarquer en 1912 lorsqu'elle présente au public La danse de l'ours, qui préfigure le strip tease : elle termine sa danse vêtue d'un collant couleur chair.

Gaby Deslys n'oubliera pas sa ville de naissance. Elle acquiert, à la fin de sa vie, la villa Maud, magnifique maison de la corniche, qui sera plus tard connue sous le nom de Villa Gaby. Gaby Deslys nous inspire par son caractère avant-garde, son indépendance, son courage et son talent.

4. Anne Rosine Noilly-Prat

maNée en 1825, Anne Rosine Noilly-Prat grandit dans une famille de fabricants de liqueurs, à Lyon. Nous l'avions découverte lors de la création de notre visite féministe de Lyon et la retrouvons à Marseille, car son père, Louis Noilly, avait établit un établissement dans cette ville pour fabriquer et vendre ses liqueurs, en 1843.

Anne Rosine épouse le directeur de ce magasin, Claudius Prat, avec qui elle aura trois enfants, avant que celui-ci ne décède, en 1859. Après la mort de son père en 1865, elle reprend les rênes de l'entreprise familiale et la dirige sans relâche pendant 37 ans, contribuant largement à la fortune de sa famille. En 1878, l'entreprise Noilly Prat obtient la médaille d'or à l'exposition universelle de Paris.

Anne Rosine est également mécène et n'hésite pas à dépenser lorsqu'il s'agit d'aider les autres. S'engageant dans de nombreuses oeuvres caritatives tout au long de sa vie, elle va jusqu'à se rendre au chevet des malades du choléra, épidémie qui touche fortement Marseille, en 1884.

A la fin de sa vie et de sa carrière, Anne Rosine Noilly-Prat achète de nouveaux terrains et étend largement l'activité de l'entreprise, avant de laisser la main à ses fils, à sa mort, en 1902.

Anne Rosine Noilly-Prat est l'une des femmes qui est mise à l'honneur par la ville de Marseille, qui lui a attribué une rue.

5. Les soeurs Clary : Julie (1771-1845) et Désirée (1777-1860)

Julie et Désirée Clary sont nées en 1771 et 1777 dans une famille de négociants en draps et en tissus de Marseille. Elles grandissent dans un milieu privilégié, entre l’hôtel particulier et la bastide de leurs parents, reçoivent une bonne éducation auprès de religieuses et sont promises à des vies bourgeoises dans le Sud de la France. Les deux sœurs sont très proches et vont le rester pendant une grande partie de leur vie.

Installés à Marseille en 1793, Napoléon Bonaparte, qui s’est déjà fait connaître pour ses actions pendant le siège de Toulon, et son frère aîné Joseph entrent en relation avec la famille Clary. M. Clary cherche un bon parti pour ses filles Julie et Désirée, et lorsque Désirée fait la connaissance de Joseph Bonaparte, celui-ci s’intéresse vivement à elle. Cependant, Napoléon jette également son dévolu sur Désirée, encourageant son frère à demander Julie en mariage.

Le mariage de Julie et Joseph est célébré dès 1794, ainsi que les fiançailles de Désirée et Napoléon. Mais celui-ci ne va pas tarder à les rompre, étant tombé amoureux de Joséphine de Beauharnais qu’il a rencontrée à Paris. Quelques temps après, Désirée, qui reçoit de nombreuses demandes en mariage, va épouser Jean-Baptiste Bernadotte en 1788. Se présentant comme le rival de Napoléon, celui-ci va pourtant monter les échelons, jusqu’à devenir Roi de Suède. En effet, la Diète Suédoise cherche un successeur à son Roi, et l’époux de Désirée se voit proposer le titre en 1810.

Ainsi, Désirée Clary devient reine de Suède, mais cette expérience n’est pas de tout repos : elle trouve difficilement sa place à la cour, qui ne la considère pas comme légitime, et ne supporte pas le froid. Elle retourne alors à Paris, où elle va devenir espionne et obtenir des informations cruciales pour le compte de son mari grâce à ses contacts avec la famille Bonaparte, tout en jouant un rôle de diplomate entre la France et la Suède.

De son côté, Julie est devenue reine de Naples en 1806, puis perd ce titre, devant Reine d’Espagne en 1808, jusqu’à perdre ce titre en 1813. Elle vit le restant de sa vie entre le New Jersey, Francfort et Florence. Elle décède en 1845.

Désirée va rester à Paris jusqu’en 1823, avant de retourner en Suède pour organiser le mariage de son fils, Oscar, avec petite-fille de Joséphine de Beauharnais, qu’elle ne porte pas dans son cœur depuis la fin de ses fiançailles avec Napoléon. Elle reste alors en Suède et la population l’apprécie de plus en plus, jusqu’à sa mort, en 1860. Cependant, elle reste nostalgique de sa ville natale, et ne peut pas se passer d’huile d’olive, qu’elle importe en Suède !