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5 féministes japonaises

Par Molly Marchand, rédactrice Feminists in the City

· Portraits de femmes

Qui sont les grandes femmes ayant marqué le féminisme nippon ? Si le Japon se dirige progressivement vers le féminisme, les tabous, le silence et la honte demeurent des obstacles majeurs à l'établissement d'une égalité réelle entre les genres, dans un pays historiquement intransigeant envers les femmes. Dans le cadre de sa vidéo-conférence en ligne sur le féminisme au japon, Feminists in the City revient sur les histoires de 5 figures marquantes du féminisme japonais.

1. Fukuda Hideko, l’enseignante

Fille d’une enseignante, Fukuta Hideko (1865 – 1927) passe son enfance sur les bancs de l’école où travaille sa mère. Influencée par l’avènement de l’ère Meiji, période de grands bouleversements sociétaux marquant la fin de la société féodale japonaise au profit d’une industrialisation proche des systèmes occidentaux, et par un discours de la féministe Kishida Toshiko, elle décide de s’engager auprès du Mouvement pour la liberté et les droits du peuple. Cette organisation politique qui milite pour l’égalité entre les individus et la démocratie modèle sa pensée. En même temps, son investissement dans le combat pour les droits des femmes s’intensifie.

Arrêtée par la police en 1885 pour son implication dans une affaire de possession illégale et de vol d’armes et de matériel militaire dans le cadre d’une opération menée par le Mouvement pour la liberté et les droits du peuple visant à soutenir la révolution coréenne, elle sera jugée avec 129 de ses compagnons de lutte, et condamnée à 18 mois de prison. Son procès, très médiatisé, fera d’elle un symbole, « la Jeanne d’Arc japonaise ».

Aspirant à instruire les femmes, elle a fondé tout au long de sa vie plusieurs écoles dédiées exclusivement à leur éducation. De sa première institution, que Fukuta Hideko constitue avec sa mère en 1883, à l’école technologique pour femmes issues de classes populaires qu’elle monte en 1901, elle se bat pour permettre d’instaurer une égalité femmes-hommes à travers l’apprentissage de connaissances.

À partir du début des années 1900, elle se consacre au journalisme et à l’écriture. Elle participe à l’élaboration de 2 magazines, dont le mensuel Seikai Fujin. Ce dernier est constitué d’articles sur l’actualité en prônant l’émancipation des femmes. Son article le plus célèbre et le plus controversé La solution à la question des femmes, publié dans la revue japonaise Seito, compile ses idées fondamentales sur l’égalité entre les genres. Elle valorise l'idée que les hommes doivent aussi être impliqués dans le mouvement féministe. Elle est la première femme à rédiger son autobiographie au Japon, qui sera éditée en 1904.

2. Waka Yamada, la survivante

Waka Yamada (1879 – 1957) est issue d’un milieu paysan très pauvre. A 18 ans, elle est vendue aux États-Unis comme esclave sexuelle à la suite d’un enlèvement. Après plusieurs années de prostitution, elle réussit à se réfugier dans une institution religieuse aidant les prostituées à sortir de leur situation.

Après son mariage en 1906 et son retour au Japon, elle s’intéresse à la lutte pour les droits des femmes et est introduite à la dirigeante du magazine Seitô. Elle devient une des plus importantes militantes féministes japonaises et contribue à la rédaction de nombreux articles pour diffuser ses idées, à l’image de la rubrique Pour les femmes de la revue Asahi Shinbun. Elle fonde en 1934 la Ligue de protection des mères et construit le premier refuge pour femmes et enfants abusé.e.s au Japon 4 ans plus tard.

Elle témoigne souvent sur son passé de prostituée qui l’influence dans son militantisme. Alors que l’occupation américaine du Japon à la suite de la Seconde Guerre Mondiale entraîne la remise en place d’un système de prostitution pour les soldats, Waka Yamada, touchée par la cause, s’engage pour aider les prostituées. Elle leur offre alors un enseignement dans son institution à Tokyo.

Son avis sur le rôle des femmes en tant que mères et épouses, qui s’apparente à une idéologie pro-nataliste, chère au Japon impérial, engendre plusieurs polémiques et lui vaut de nombreuses critiques de la part d’autres militantes. Néanmoins elle reste une figure reconnue dans le milieu féministe. Elle est notamment invitée par la première dame américaine Eleanor Roosevelt à la Maison-Blanche en 1937.

3. Fusae Ichikawa, la politique

Fusae Ichikawa (1893 – 1981) met fin à sa courte carrière d'institutrice lorsqu’elle se rend compte de l’inégalité salariale entre les femmes et les hommes. Cette injustice, combinée à celle de la règle des 3 soumissions de la femme, à son père, son mari et son fils, et qui avait empêché sa mère de se défendre contre son mari violent, l’incite à se tourner vers le féminisme.

Elle devient journaliste en 1917 pour le Nagoya Shimbun, puis secrétaire générale du bureau féminin de la plus ancienne centrale syndicale japonaise, Yuaikai en 1919. Un an plus tard, elle fonde l’Association des nouvelles femmes, première organisation uniquement dédiée à la lutte pour les droits des femmes au Japon. L’un de ses plus fervents combats est l’intégration des femmes dans la vie politique du pays. La Diète, parlement japonais, décide de dissoudre rapidement cette association qui menace l’autorité gouvernementale. Pour autant, cet événement n’entame pas sa volonté, et lors de son retour des États-Unis après un voyage pour rencontrer d’autres féministes, Fusae Ichikawa continue de militer pour l’émancipation des femmes japonaises.

Elle met notamment en place la Ligue des suffrages féminins du Japon qui organise la première convention nationale traitant de ce thème. Cette association se transforme en Nouvelle ligue des femmes japonaise lorsque qu’après la signature de la Déclaration de Postdam à la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, le Japon autorise finalement le droit de vote des femmes. Fusae Ichikawa, qui a joué un rôle majeur dans cette grande avancée devient alors la présidente de cette organisation. Elle devient également une des porte-paroles lors des négociations pour faire ratifier au Japon la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes édifiée par l’ONU en 1980.

Très impliquée dans la lutte féministe, c’est également une figure politique emblématique, qui est plusieurs fois élue à la Diète du Japon. Elle reçoit pour son travail sur l’égalité sociale, le prix Ramon Magsaysay du « Leadership communautaire » en 1974.

4. Raicho Hiratsuka, la fondatrice du Seikô

Diplômée de l’Université pour femmes du Japon en 1903, Raicho Hiratsuka (1886 – 1971) s’intéresse durant ses études à la philosophie et à la spiritualité. Elle intègre ensuite l’Ecole féminine d’anglais de Narumi.

Là-bas, elle co-fonde avec 4 autres femmes le premier magazine littéraire féminin japonais, Seitô, en 1911. Le nom de cette revue, que l’on pourrait traduire par « Bas-bleus », rend hommage aux féministes britanniques des XIIIe - XIXe siècles. Traitant de l’émancipation des femmes, les pages de Seitô ont accueilli de nombreuses militantes féministes japonaises, dont les avis divergents ont permis d’enrichir la ligne éditoriale tout en débattant de nombreux thèmes. Néanmoins, la censure du gouvernement empêche Raicho Hiratsuka et ses journalistes de publier certains articles, poussant cette dernière à démissionner en 1915.

Activiste, elle s’engage dans le milieu associatif et fonde en 1920 avec plusieurs féministes japonaises, dont Fusae Ichikawa, l’Association des femmes japonaises, se dressant contre les lois japonaises qui interdit aux femmes de participer à la vie politique du pays. Avec son organisation, elle organise la première campagne nationale pour le droit de vote des femmes au Japon.

Après la seconde guerre mondiale, elle devient membre de la Fédération démocratique internationale des femmes, une organisation internationale féministe, et se rapproche du Mouvement pour la paix en plaidant la cause d’un Japon pacifiste.

Sa forte personnalité et sa volonté de combattre la société inégalitaire dans laquelle elle évolue font d’elle une des personnalités féministes les plus marquantes, à l’échelle nationale comme internationale.

5. Itô Noé, l’anarchiste

Envoyée très tôt chez son oncle par soucis économique, Itô Noé (1895 – 1923) peut grâce à lui parfaire son éducation. Le suivant à Nagasaki puis à Tokyo, elle obtient son diplôme en 1912.

Elle reste quelques temps journaliste pour le magazine Seitô, fondé par Raicho Hiratsuka et s’emploie à défendre les relations libres au détriment du mariage, et surtout du mariage forcé, dont elle a elle-même été victime. En 1915, elle se retrouve à la tête de la revue, et décide d’ouvrir encore plus sa ligne éditoriale à de nouveaux points de vue, mais être contrainte d’arrêter son activité en 1916.

Durant ses jeunes années, elle se rapproche des mouvements anarchistes, à travers la traduction des écrits de la féministe anarchiste russe Emma Goldman, et les discussions avec son amant, le militant anarchiste Osugi Sakaé.

Victime de la terreur politique mise en place au Japon après le séisme de Kanto en 1923, qui déchaîne une vague de violence à l’encontre de tous les opposants politiques, socialistes, communistes et anarchistes, mais aussi des classes populaires, Itô Noé est arrêté, torturée et exécutée sans procès. Cette injustice, qui porte le nom d’incident d’Amakasu, du nom du lieutenant ayant dirigé les opérations, scandalise le Japon et reste un événement important de son histoire.