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4 inspirations féministes insoupçonnées

Par Élise Lambin, rédactrice Feminists in the City

· Pop culture

Faut-il nécessairement affirmer sa prise de position féministe pour en être une inspiration ?

Certain·e·s artistes ne se sont jamais engagé·e·s de manière publique dans le mouvement, pourtant, à travers leurs parcours, leurs histoires et leurs réussites, iels se révèlent aujourd’hui comme de véritables inspirations féministes que l’on ne considère pas forcément comme telles de prime abord. Retour sur quatre de ces inspirations sorores insoupçonnées !

Marilyn Monroe

Pour beaucoup, Marilyn Monroe incarne à elle seule le mythe de la femme glamour et séductrice. Certain·e·s fans lui collent également l’étiquette de « proto-féministe » bien qu’elle n'ait jamais proclamé officiellement son appartenance à la lutte. C’est le cas de l’autrice Lois Banner qui consacre à l’actrice un livre paru en 2012 à l’occasion des 50 ans de l'anniversaire de sa mort, et intitulé Marilyn : the passion and the Paradox.

Banner renverse les préjugés sur Marilyn et la présente comme une femme entreprenante, courageuse, à la sexualité libérée des diktats de son époque et dont le parcours ne peut être qu’une inspiration féministe. Pour elle, ce sont les médias qui n'ont vu Marilyn qu'à travers le prisme de sa beauté, son érotisme et ses déboires amoureux. Pourtant, elle est aussi une femme talentueuse qui s’est construite une carrière d’actrice en dépassant sa dyslexie et un bégaiement assez grave. Elle a connu une enfance difficile, l’absence d’une mère schizophrénique et un viol alors qu’elle avait seulement 9 ans, mais a su surmonter ces épreuves et devenir une des stars les plus importantes de sa génération.

Monroe crée même sa propre société de production, en 1954, dans le but de se trouver des rôles moins stéréotypés que ceux qu’on lui propose. Lois Banner souligne que Marilyn « est une femme qui s’est transformée elle-même en star » et qui a su utiliser le regard des hommes à son avantage.

Pour Banner, la célèbre photo où elle pose au-dessus d’une bouche de métro en est le parfait exemple : « Elle pose pour le regard masculin, mais c'est une femme indisciplinée - la sorcière blanche aux pouvoirs surnaturels, la star burlesque dans un monde à l'envers de femmes énormes et puissantes et d'hommes impuissants et victimes".

Marilyn Monroe est aussi une inspiration pour ses démonstrations de sororité notamment avec Ella Fitzgerald, aujourd’hui considérée comme une des plus importantes chanteuses de Jazz de l’histoire.

Les deux femmes se rencontrent en 1954. A l’époque, Marilyn est une star planétaire et Ella commence à gagner en notoriété. Seul problème, la ségrégation est toujours appliquée et Ella Fitzgerald se voit refuser l’entrée de grands clubs chics pour deux raisons : elle est une femme noire et elle est en surpoids. En discutant avec elle, Marilyn prend conscience de cette injustice et décide de faire jouer ses relations pour permettre à Ella de faire résonner sa musique dans les grands clubs de Los Angeles. Elle rentre en contact avec le propriétaire du Mocambo et négocie pour faire jouer son amie plusieurs soirs. Ce geste permettra à Ella de se faire connaître d’un autre public. Les deux femmes resteront très amies jusqu’à la mort de Marilyn en 1962.

Selon Vanity Fair, quand la presse interrogeait Marilyn sur ces goûts musicaux, elle répondait : « Ma personne préférée, et je l'aime en tant que personne et chanteuse, je pense qu'elle est la plus grande, et c'est Ella Fitzgerald. »

Dalida

À la même période, de l’autre côté de l’océan, une autre chanteuse partage un vécu aussi dramatique. Il s’agit de Dalida dont on se souvient pour son incroyable voix et son destin tragique. C’est aussi une artiste qui a surmonté la perte d’êtres chers et les obstacles sexistes de son époque.

Dalida a beaucoup souffert de l’attention médiatique qui lui été portée, si bien qu’elle essayait de se conformer au regard des autres pour éviter d’essuyer les critiques.

Les médias n’ont déjà pas été tendres avec elle et la surnommait même « Dalida, la maudite », en référence à la mort des différents hommes de sa vie. Ainsi, en 1967, alors qu’elle commence une relation avec un jeune homme de 18 ans quand elle en a 34, elle tente de vivre cet amour caché. Elle a conscience que si cette histoire parvient aux oreilles du grand public, elle sera jugée comme les femmes le sont souvent lorsqu’elles fréquentent un homme plus jeune. Son histoire inspire la réalisatrice Liza Azuelos qui a réalisé un biopic sur elle. Elle explique la portée féministe et humaniste de son histoire à Gala:

“Son itinéraire traverse l’histoire du féminisme. Dalida est née en 1933 en Egypte, à une époque où les femmes n’étaient pas très libres ; et le film se termine en 1987 en France, où nous avons bénéficié de nombre d’avancées sociales. Pour autant, le film soulignera que tout n’a pas été libération pour les femmes de la génération de Dalida...”

Elle n’est pas militante mais a interprété plusieurs fois des chansons au texte subtilement avant-gardiste. À commencer par un de ses titres les plus connus « il venait d’avoir 18 ans ». Le sens du texte et l’importance qu’il avait pour Dalida ont été révélés récemment par Orlando, le frère et ancien manager de la chanteuse dans l’émission La vie secrète des chansons en 2015. Ce texte, écrit par Pascal Sevran, évoque l'histoire d’amour de Dalida avec un jeune homme de 18 ans. Une histoire qui a tragiquement fini car elle a fini par tomber enceinte et avorter clandestinement, une intervention qui l’a rendue stérile.

Dalida a également évoqué l’homosexualité dans des textes comme Pour ne pas vivre seul ou encore Depuis qu'il vient chez nous, devenant alors aux yeux de la communauté une des premières icônes diffusant un message LGBTQIAP+ en France. Dalida était donc une femme en avance sur sa génération, qui a beaucoup souffert mais qui n’a pour autant jamais hésité a aider les autres, comme son engagement contre le sida en atteste. Sa force, son courage, son altruisme et son talent font d’elle une véritable inspiration que nous mettons à l’honneur pendant notre visite guidée la libération sexuelle contée par des hystériques.

Tina Turner

Tina Turner, de son vrai nom Anna Mae Bullock, est une star du rock’s roll, connue pour être une chanteuse, danseuse, actrice et compositrice mais c’est aussi une survivante de violences conjugales.

Des années 1950 à 1980, elle a vécu la compagnie d’un mari violent qui n’est autre que le musicien Ike Turner. Pendant toutes ces années, le duo va passer aux yeux du public comme le couple parfait, à qui tout réussit. Pourtant, la réalité est bien moins romantique, surtout pour Tina.

Cet homme, elle le rencontre en 1957 alors qu’elle débute sa carrière musicale. Subjugué par sa voix, il fait d’elle sa choriste occasionnelle et donne un coup de pouce au lancement de sa carrière. Mais cette opportunité tourne vite au cauchemar. Ike commence rapidement à avoir une emprise sur elle et à lui imposer ses choix. À commencer par son prénom qu’il décide de faire passer d’Anna à Tina, puis avec son nom qu’il change en Turner. Ce n’est que le début d’une relation toxique pour elle, qu’elle racontera bien plus tard dans deux autobiographies.

Elle publie d’abord Moi, Tina, en 1986 qui donnera lieu à un film. Elle y raconte la violence de Ike, son narcissisme et son penchant pour la drogue. A l’époque, elle est séparée de Ike depuis une dizaine d'années et officiellement divorcée depuis 1978.

Elle est aujourd’hui admirée pour son courage car elle a réussi à sortir de cette relation et à en parler publiquement. Dans une interview donnée au célèbre journaliste Larry King, elle répond avec franchise à ces questions au sujet des violences conjugales qu’elle a pu subir. Impressionné, il la qualifie d'« héroïne féministe » pour ce qu’elle a traversé et pour aujourd’hui en parler ouvertement afin de permettre à des femmes de se reconnaître dans son histoire. Ce à quoi elle répond qu’elle est heureuse que « cela ait un sens ».

Larry King n’est pas le seul de cet avis, lorsqu’elle l’a reçu, Oprah Winfrey introduit Tina par ces mots : « Nous n'avons pas besoin d'autres héros, nous avons besoin de plus d'héroïnes comme vous, Tina. Vous me rendez fière d'épeler mon nom f-e-m-m-e. [...] Tina Turner n'a pas seulement survécu, elle a triomphé. »

Nicki Minaj

Nicki Minaj est une rappeuse américaine souvent réduite par les médias à ses looks et ses danses hypersexualisées. Cette hypersexualisation est souvent considérée comme antinomique avec le féminisme, comme l'affirmait en 2015 la chanteuse Lou Doillon dans une interview pour El pais dans laquelle elle déclare : « Quand je vois Nicki Minaj et Kim Kardashian, je suis scandalisée. Je me dis que ma grand-mère a lutté pour autre chose que le droit d'arborer un string ».

Pourtant, disposer de son corps librement et assumer sa sexualité, ce ne serait pas justement une manière de défier le patriarcat ? Nicki Minaj, ce n’est pas juste une « femme sexy », c’est avant tout une « self-made women » qui a réussi à se faire une place dans un milieu aussi misogyne que le rap. Plus que ça, elle a réussi à s’approprier les codes du genre pour les détourner et en faire sa marque de fabrique. Au lieu d’être la « fille sexy » en arrière-plan des clips de rap, c’est elle la fille sexy au centre de l’écran. Elle s'est fait une place dans un milieu qui ne lui en laissait aucune. Un exploit récompensé par le Billboard’s Women in Music en 2019 avec le prix « game changer ».

C’est cette inversion des rôles qui dérange tant les médias. A la sortie de son clip Anaconda en 2014, Nicki crée la polémique. La « vulgarité » de son clip et de la pochette du titre en offusque plus d’un. Pourtant, comme le souligne la rappeuse elle-même à V Magazine : « Si un homme avait fait le même clip qu’Anaconda avec des filles sexy, tout le monde s’en foutrait ». Dans son texte, elle s’affirme comme maîtresse de son corps et de ses choix.

Pour répondre aux critiques, elle poste sur les réseaux une image avec trois femmes blanches et minces, dans les standards de beauté - dont la mannequin Emily Ratajkowski - avec pour légende : « Angelic. Acceptable. Lol ». Elle souligne avec cette publication que ce qui pose problème avec Anaconda ce n’est pas uniquement ce qu’elle fait de son corps mais son corps lui-même. Interrogée par ABC News, elle défend son clip et ses intentions. Elle reconnaît qu’elle aime semer le trouble avec ses choix artistiques mais elle souligne également que ce titre tourne autour de l’empouvoirement des femmes, elle les encourage à aimer leurs formes.

Qu’elles aient manifesté ou non des idées féministes, ces femmes sont des inspirations et prouvent une fois de plus que nous avons toutes à apprendre les unes des autres. C’est dans cette perspective que nous - Feminists in the City - avons organisé le Sommet de la Sororité pour échanger sur ce qui nous unis et ce qui nous éloigne afin de cultiver cette solidarité si essentielle aux fins d’égalité !

Sources et inspirations

  • Elise Baudouin et Ariel Wizman, Pop féminisme - Des militantes aux icônes pop, Arte, 2020.

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